Manuel naît il y en 1956 à Lisbonne, il est l’aîné de Rosa Maria Horta et Rui Faustino. Sa sœur Olga naîtra 6 ans plus tard. A l’âge de 2ans ½ la famille migre à Caracas. Ses parents ont un salon de coiffure au centre de la ville, pas loin de quelques terrains vagues où Manuel se souvient avoir joué, enfant.
Amant de l’air libre depuis l’enfance, il sait vite comment gérer la rue et se faire respecter. Il évite toutefois d’enclencher les conflits car il déteste la bagarre. Rebelle, il ne fait pas long feu dans la petite école portugaise qui utilise les coups de règles, les bonnets d’âne et l’humiliation pour faire rentrer la matière aux dyslexiques. Le directeur l’apprend à ses dépens au prix de bleus dans les mollets ! Après plusieurs essais infructueux dans d’autres écoles, il passe une année à apprendre la vie chez Alfredo et Rosa, ses cousins chaleureux et bienveillants habitants à San Cristóbal dans les Andes. Ce sont les Salésiens de l’école Champagnat de Caracas qui réussissent à le raccrocher à l’éducation formelle car ils voient en lui son potentiel, notamment en athlétisme, en vitesse et en saut en longueur. A part pour les messes quotidiennes auxquelles il fallait assister, il garde un excellent souvenir de cette école et de ses sacerdotes.
Suite à un tremblement de terre en 1967 où plusieurs immeubles se sont écroulés ou ont été gravement endommagés, notamment celui dans lequel il habitait et où il se trouvait au moment des faits, ses parents qui se sentaient en insécurité en raison de la criminalité environnante décident de rentrer en Europe. Manuel est donc envoyé à l’âge de 13 ans par voie maritime en internat de bonnes sœurs à Peniche au Portugal. Il refuse d’assister aux cours sans sa chienne Keti dont on se souvient encore dans la région, tellement elle était intelligente et en communion avec lui. Il doit toutefois s’en séparer et la donne à un ami car ses parents décident de l’envoyer en internat à Fribourg en Suisse, avant ces 14 ans fatidiques où Salazar enrôlait tous les garçons pour la guerre en Angola et au Mozambique. L’allemand étant trop indigeste pour lui, il veut rejoindre ses parents qui sont arrivés entre temps à Genève. Mais la famille fortunée pour lesquels ils travaillent refusent de loger ce garçon qui a déjà l’allure d’un homme. Il va alors habiter chez son oncle et parrain José qui habite aussi déjà à Genève. Il suit les cours au cycle de Florence.
C’est là, à Genève, où commence alors vraiment sa vie qu’il aime tant, ses voyages et toutes ses aventures avec sa bande de copains dont il garde un souvenir marquant. Pour ce qui est des études, et malgré la langue et la dyslexie, il n’en a finalement plus peur. Après plusieurs essais d’apprentissages de divers métiers, toujours dans une quête d’amélioration, il obtient son certificat d’agriculteur à 20 ans, son certificat de ferblantier à 31 ans et son certificat de photographe de laboratoire à 45 ans. Il a deux enfants d’un premier mariage, Noémie qui naît quand il a 24 ans et Raphaël qui naît quand il a 26 ans, puis deux enfants d’un deuxième mariage, Sebastian qui naît alors qu’il a 41 ans et Anna quand il en a 43. Il enchaîne les emplois et les travaux en tant qu’indépendant, en ferblanterie d’abord, puis en photographie pour le compte notamment de la Chancellerie d’Etat de Genève. Sa vraie passion restera toutefois toujours la photo inédite qui se présente à lui par surprise, au fil du quotidien.
Il réalise son plus grand rêve d’enfance à 56 ans, lorsqu’il part en expédition 6 semaines au Venezuela et parcours 3000km de fleuve entre l’Orénoque et le Rio Negro par le canal Casiquiare. Cette région est décrite en raison de sa flore particulière par le naturaliste Alexander von Humboldt, considéré par certains comme le premier écologiste, le premier à décrire la Terre comme un organisme vivant, dont l’équilibre pouvait être perturbé par les activités humaines. … c’est un scientifique dont la vision rejoint celle de Manuel.
Pour Manuel, Dieu est partout, en particulier dans cette nature immense presque intouchée, dans cette jungle et ces gigantesques plans d’eau peuplés par d’innombrables animaux et dont il a ramené tant de photos… Des photos en noir et blanc, car à la fin c’est ce qu’il préfère. Car c’est en noir et blanc qu’il sent qu’il arrive le mieux à retransmettre sa vision profonde de cette puissance qu’il capte au cœur de toutes choses, et surtout de notre monde naturel. Et c’est aussi cela qu’il dit vouloir rejoindre après sa mort.
Manu est notre ami, à Silvia et moi ! J’écris au présent car contrairement à mes premières pensées je croyais qu’avec son départ, je perdais une partie de moi-même. Mais il n’en n’est rien, il est toujours présent dans mon cœur, mes pensées et mes souvenirs.
On s’est connu vers 13-14 ans à une époque où une vague de liberté soufflait sur la société et nous n’étions pas des ados particulièrement sages. Alors on s’est tout de suite bien entendu pour faire les 400 coups, mais rien de bien méchant. On a connu ensemble les premiers ébats amoureux, les tournées en « boguets » maquillés pour faire la tournée des boums de la région, la musique pop avec des 33 tours d’anthologie et les festivals de l’époque. Puis ce fut les premiers voyages ! En stop, en train : le Maroc, l’Allemagne, la Hollande, la Grèce où une étrangère s’était incrustée, Silvia, ma future femme. Des centaines d’anecdotes me trottent dans la tête, gravées à jamais. Après ce fut les premiers petits boulots. Un patron pas ordinaire nous avait engagé avec 2 autres copains pour faire de la manutention, pas banal !! on nous appelait les « charlots ».
Nous étions tous deux attirés par la photographie et avons fait ensemble nos premières pellicules. Il y avait celui qui avait l’œil, le don et l’autre qui se prenait pour un artiste, l’autre c’était moi ! J’ai toujours admiré Manu pour sa pugnacité à vouloir vivre de sa passion et d’y être arrivé.
Ensuite vint le temps des responsabilités avec l’âge adulte ; nos rencontres respectives, le mariage, nos premiers enfants et le travail.
Puis les événements de la vie nous ont séparés pendant un long moment, sans vraiment savoir pourquoi nous nous étions perdus de vue.
Nos retrouvailles furent le fruit du hasard, une rencontre à la vieille ville. Et depuis, nous nous sommes retrouvés comme si ces années d’absence n’avaient jamais existé. Les mêmes regards, les mêmes rires et la même complicité. Sans le savoir, comme cette amitié m’avait manqué !
Dernièrement, après ses premières chimios et la rémission momentanée de sa maladie, nous sommes partis ensemble quelques jours dans le sud pour le mariage de mon fils. Il dégageait de sa personne de la sérénité et un réel plaisir d’être ensemble avec nos amis dans une région magnifique. C’est cette dernière image que nous garderons de ses derniers moments.
Manu est un homme bon, généreux de sa personne, amoureux de la nature et des hommes !
Noémie
Papa,
Comment trouver les mots… Les bons mots ..
Je crois qu’il n’y en a pas, je voulais juste parler de toi Papa… Toi… si discret et si patient…
Je crois avoir découvert ton visage sur le tard car nous avons, les premières années de notre vie, vu plus souvent l’objectif de ton Nikon, que ton visage.
Nous en gardons même quelques cicatrices sur le front, car tu avais toujours ton appareil autour du cou et on se cognait dessus sí souvent.
Je me souviens de nos balades dans la nature où, avec Raphaël, nous attendions des heures que tu fasses LA photo. Tu pouvais rester, ce qui nous semblait une éternité, devant une fleur à attendre qu’une abeille vienne la butiner.
Les derniers jours auprès de toi ont été très intenses, mais tu nous as fait rêver avec Les récits de tes voyages, perdu dans la forêt Amazonienne, le voyage de tes rêves..
Toi l’amoureux de la nature, j’ai vu tes yeux briller lorsque tu nous a parlé de tes photos des arbres vénérables pour le jardin botanique. Tu aimais découvrir cette nature avec tes amis botanistes et tu leurs a permis de voir ces arbres, qu’ils connaissent pourtant sí bien, d’une autre façon grâce à tes photos.
Mercí Papa de nous laisser tes si belles photos. Nous pourrons, Raphaël, Sebastían, Anna et moi, nous plonger dedans pendant des heures et nous remémorer de magnifques souvenirs.
Je t’imagine là-haut, en paix, à fumer ta cigarette, boire ton café, avee ton appareil autour du cou.
Je t’aime Papa.
Repose en paix et merci pour tout.
Aujourd’hui nous célébrons la personne que tu étais et nous parcourons les
souvenirs des instants passés ensemble.
Manu, Rappelle-toi, j’ai d’abord été ton collègue aux Jardin Botanique où nous
participions à cet immense projet de numérisation de l’herbier. De ces années,
je dirais que notre amitié est née autour d’une tasse de café… je te revois encore vérifier si tu as bien dans tes poches ton tabac et ton briquet avant de quitter le bureau, je me rappelle ton sourire et l’expression dans tes yeux à l’annonce de cette pause qui était toujours joyeuse.
Tu as rapidement noué de très bons contacts avec l’ensemble des collègues et sans trop vouloir m’avancer j’ai le sentiment que tu étais heureux d’être avec nous et heureux de côtoyer ces doux rêveurs que sont les botanistes….
Nous avons ensuite eu la chance de pouvoir collaborer sur le projet des arbres du canton. Quel plaisir cela a été pour moi ! Nous enchaînions les promenades en nature, ou dans les plus beaux parcs de Genève, autour d’un thème qui nous tenait à cœur : la beauté et la diversité du vivant.
Manu, à travers tes photos tu m’as en quelque sorte ramené sur les bancs de l’école, tu m’as fait découvrir des détails que je ne regardais pas ou que je ne regardais plus.
Manu, tes photos révélaient un univers de poésie, on ressentait la fragilité d’un
bourgeon, la fugacité d’une fleur ou encore la force d’un tronc. Manu, avec le temps j’ai compris d’où venait ta capacité à saisir ces émotions.
Manu, tu as toujours eu cette curiosité et cette ouverture aux autres, tu aimais discuter et échanger sans jamais vouloir imposer tes idées, plus que voir ou parcourir le monde je pense que tu le contemplais.
Manu, tu vas nous manquer, je sais que depuis les étoiles tu gardes désormais un œil plein de chaleur et plein d’humanisme sur nous.
Tu m’a fait le plus grand des cadeaux, la réconciliation avec toi-même, avec ton entourage, avec tes amis, ta famille et même à la fin avec Dieu. Tu étais révolté quand je t’ai connu, et finalement, c’est passé… Combien de fois à la fin tu m’as dis de laisser aller… « laisse aller, laisse aller »…de faire confiance.. m’en remettre au cours des choses et à la sagesse du destin…
Et je voulais aussi dire merci au Venezuela qui nous a réunis. Le Venezuela qui nous a sauvé, tous les deux… La gentillesse de son peuple, sa spontanéité, sa générosité sans limites, sa bienveillance… ses maîtres à penser, sa nature luxuriante.
C’est par le biais de tes photos que j’ai vu qui tu étais, ton amour profond du peuple, ta capacité à capter la poésie autour de toi, ton dédain pour les hiérarchie, ton respect pour les humains, quels qu’ils soient, pour les opprimés… et surtout, ton amour des enfants , de la vie… et de la nature. Ton activité c’était la contemplation et l’observation à longueur de journée, c’était ta principale source de connaissance et de sagesse. Ta passion c’était capter l’image que tu avais en tête pour transmettre la vision de cette nature qui te renvoyait au monde dans toute sa puissance. Comme tu me l’a expliqué, la difficulté pour capter l’image que l’on veut, c’est de l’anticiper, et d’appuyer sur le bouton une fraction de seconde avant son apparition…
Tu adorais la musique, l’écoutant à longueur de journée. Tu aurais tant voulu apprendre à jouer de la guitare! C’était ton instrument préféré par-dessus tout…
C’est pourquoi j’ai choisi pour toi ces valses pour guitarre de Antonio Lauro … Et que, comme tu as dis nous le souhaiter à tous ensuite, que la danse continue !
Chers amis et famille de Manuel…
Quand je réfléchissais aux paroles que j’allais vous dire en ce moment, elles se sont dirigées toutes seules vers les enfants de Manuel, que je ne connais que très peu, et depuis il y a moins d’une semaine : Noémie, Raphaël, Sebastian, Anna.
Evidemment, je ne parle que pour eux, mais permettez-moi que je vous parle à tous en leur parlant surtout à eux.
Vous pouvez imaginer comme un prêtre peut se sentir un peu comme un intrus lorsqu’il atterrit dans la vie de quelqu’un, appelé pour l’aider dans ce dernier moment de la mort… comme vous l’avez vu la semaine passée. On se sent un peu comme un intrus, comme Dieu lui-même peut se sentir un intrus dans nos vies…
Oui, Dieu parfois se sent comme un intrus… pas parce qu’il nous appartient plus profondément que personne d’autre ne pourra jamais nous appartenir, pas parce que la soif la plus profonde que nous avons c’est la soif que nous avons de lui… mais parce que nous le tenons un peu à l’écart, parce que nous sommes froids envers lui, voire fâchés avec lui, ou tout simplement avec ceux qui étaient censés nous porter vers lui.
Mais même lorsque nous nous sentons vus un peu comme des intrus, nous les prêtres nous allons de l’avant, comme Dieu le fait, en respectant la liberté de chacun, mais en écoutant la soif de Dieu.
J’étais surpris, comme vous l’étiez aussi, par la force avec laquelle Manuel a dit oui à cette aide des derniers sacrements, notamment à la communion, à peine une heure avant de partir vers la rencontre face à face avec Jésus. On dirait que, en plus de vous voir une dernière fois, il n’attendait que ça pour partir vers son Dieu.
Plus encore, j’étais surpris par la décision avec laquelle, malgré ses forces déjà très réduites, il serrait ma main, comme un enfant qui s’accroche à la main de son père.
Lorsqu’on est un jeune prêtre on se trouve face au paradoxe de se faire dire père, ou de se faire traiter comme père de la part des gens dont on pourrait être les enfants. Mais là on prend conscience que cette paternité ne vient pas de nous mais de Dieu, de ce Père dont notre cœur, le cœur de tous, a une nostalgie si profonde. J’ai compris tout suite que ce n’était pas à ma main que Manuel s’accrochait, mais à la main de son Père, Dieu.
Noémie, Raphaël, Sebastian, Anna… vous le savez, votre père était un passionné. Comme me le racontait Rachel, il regardait en profondeur, il cherchait l’âme des choses et des personnes. Et c’est ce regard profond, passionné qu’il portait sur le réel, qui voulait comme en trouver son mystère… c’est ça qui l’a fait tomber amoureuse de lui.
Eh bien comme il va être heureux à côté de Dieu, votre père… Si on pense à certaines images qui ont été données du ciel, on a raison de penser que ce sera ennuyeux, ou que c’est irréel. A moi elles ne me parlent pas non plus …
Eh bien le ciel, tel que la foi chrétienne le comprend (et je souligne ça : la foi chrétienne, pas forcément toujours les chrétiens qui pouvons ne pas être à la hauteur, soit dans notre façon de vivre…soit dans notre façon de la comprendre) … le ciel, tel que la foi chrétienne le comprend est plus réel que notre vie ici sur terre. Ce qu’on appelle « l’autre vie » est plus réelle et plus passionnante que la vie que nous connaissons ici. Ça, au moins, c’est ce que la foi chrétienne croit. C’est la foi dans la résurrection. Là-dedans il y a tout le christianisme. Et sans cela tout le christianisme tombe.
« L’autre vie » donc est plus réelle et plus passionnante que celle-ci. La vie ici n’est qu’un påle reflet de la Vie. Et c’est pour ça que je dis… comment il va être heureux votre père, à côté de Dieu… qui n’est pas un vieillard ennuyé et ennuyant, mais la source de toute cette beauté qu’il a cherché sur terre… toute cette beauté ensemble.
Saint Augustin, et il n’est pas le seul, disait que le ciel ce sera découvrir Dieu sans arrêt. Ce sera un WOW permanent, et on sortira d’un wow pour tomber dans un autre, sans nous lasser…
Dans la résurrection, dans le ciel, Dieu nous redonnera tout ce qui nous a passionné ici sur terre, une fois qu’il aura purifié nos amours de tout ce qu’il y avait en eux d’égoïste ou de toxique…
Parce que oui, ici-bas souvent la joie est mélangée avec la douleur, la passion avec l’égoïsme, l’amour avec l’intérêt, le plaisir avec le ras-le-bol… Nous aimons la vie, mais en même temps parfois nous en avons marre… nous vivons dans cette ambiguïté. Au plus profond de nous il y a une volonté de vivre pour toujours, même si ça nous fait aussi un peu peur…
Eh bien, dans notre désir de vivre, et même dans notre ras-le-bol de la vie, il y a une promesse qui n’est pas une blague. La promesse d’une joie sans bornes, la joie pour laquelle nous sommes faits. De notre part on le souhaite sans pouvoir l’avoir. Dieu par contre le veut et le peut. Tout ce dont il a besoin c’est que nous le voulions. Que nous voulions vivre pour toujours avec lui et avec tous, sans exclure personne, sans ces ressentiments qui parfois restent en nous et qui nous rendent malheureux. Que nous ouvrions notre cœur vers Dieu et vers les autres, comme l’apôtre Jean nous le dit, de façon qu’une fois que nous arriverons devant Dieu nous pourrons lui dire « oui je le veux », comme vous avez vu dire oui à votre père, même au milieu de sa difficulté à respirer et à parler.
En ce moment nous prions pour lui, et nous nous confions aussi à sa prière. Nous l’accompagnons et nous nous savons accompagnés par lui.
Manuel y voit plus clair maintenant que nous. Qu’il nous aide à découvrir la seule chose nécessaire, la seule personne nécessaire, dans laquelle nous nous retrouverons nous-mêmes, nos amours, nos êtres chers, et l’humanité entière: Dieu.
En souvenir de Manuel…
Biographie
Manuel naît il y en 1956 à Lisbonne, il est l’aîné de Rosa Maria Horta et Rui Faustino. Sa sœur Olga naîtra 6 ans plus tard. A l’âge de 2ans ½ la famille migre à Caracas. Ses parents ont un salon de coiffure au centre de la ville, pas loin de quelques terrains vagues où Manuel se souvient avoir joué, enfant.
Amant de l’air libre depuis l’enfance, il sait vite comment gérer la rue et se faire respecter. Il évite toutefois d’enclencher les conflits car il déteste la bagarre. Rebelle, il ne fait pas long feu dans la petite école portugaise qui utilise les coups de règles, les bonnets d’âne et l’humiliation pour faire rentrer la matière aux dyslexiques. Le directeur l’apprend à ses dépens au prix de bleus dans les mollets ! Après plusieurs essais infructueux dans d’autres écoles, il passe une année à apprendre la vie chez Alfredo et Rosa, ses cousins chaleureux et bienveillants habitants à San Cristóbal dans les Andes. Ce sont les Salésiens de l’école Champagnat de Caracas qui réussissent à le raccrocher à l’éducation formelle car ils voient en lui son potentiel, notamment en athlétisme, en vitesse et en saut en longueur. A part pour les messes quotidiennes auxquelles il fallait assister, il garde un excellent souvenir de cette école et de ses sacerdotes.
Suite à un tremblement de terre en 1967 où plusieurs immeubles se sont écroulés ou ont été gravement endommagés, notamment celui dans lequel il habitait et où il se trouvait au moment des faits, ses parents qui se sentaient en insécurité en raison de la criminalité environnante décident de rentrer en Europe. Manuel est donc envoyé à l’âge de 13 ans par voie maritime en internat de bonnes sœurs à Peniche au Portugal. Il refuse d’assister aux cours sans sa chienne Keti dont on se souvient encore dans la région, tellement elle était intelligente et en communion avec lui. Il doit toutefois s’en séparer et la donne à un ami car ses parents décident de l’envoyer en internat à Fribourg en Suisse, avant ces 14 ans fatidiques où Salazar enrôlait tous les garçons pour la guerre en Angola et au Mozambique. L’allemand étant trop indigeste pour lui, il veut rejoindre ses parents qui sont arrivés entre temps à Genève. Mais la famille fortunée pour lesquels ils travaillent refusent de loger ce garçon qui a déjà l’allure d’un homme. Il va alors habiter chez son oncle et parrain José qui habite aussi déjà à Genève. Il suit les cours au cycle de Florence.
C’est là, à Genève, où commence alors vraiment sa vie qu’il aime tant, ses voyages et toutes ses aventures avec sa bande de copains dont il garde un souvenir marquant. Pour ce qui est des études, et malgré la langue et la dyslexie, il n’en a finalement plus peur. Après plusieurs essais d’apprentissages de divers métiers, toujours dans une quête d’amélioration, il obtient son certificat d’agriculteur à 20 ans, son certificat de ferblantier à 31 ans et son certificat de photographe de laboratoire à 45 ans. Il a deux enfants d’un premier mariage, Noémie qui naît quand il a 24 ans et Raphaël qui naît quand il a 26 ans, puis deux enfants d’un deuxième mariage, Sebastian qui naît alors qu’il a 41 ans et Anna quand il en a 43. Il enchaîne les emplois et les travaux en tant qu’indépendant, en ferblanterie d’abord, puis en photographie pour le compte notamment de la Chancellerie d’Etat de Genève. Sa vraie passion restera toutefois toujours la photo inédite qui se présente à lui par surprise, au fil du quotidien.
Il réalise son plus grand rêve d’enfance à 56 ans, lorsqu’il part en expédition 6 semaines au Venezuela et parcours 3000km de fleuve entre l’Orénoque et le Rio Negro par le canal Casiquiare. Cette région est décrite en raison de sa flore particulière par le naturaliste Alexander von Humboldt, considéré par certains comme le premier écologiste, le premier à décrire la Terre comme un organisme vivant, dont l’équilibre pouvait être perturbé par les activités humaines. … c’est un scientifique dont la vision rejoint celle de Manuel.
Pour Manuel, Dieu est partout, en particulier dans cette nature immense presque intouchée, dans cette jungle et ces gigantesques plans d’eau peuplés par d’innombrables animaux et dont il a ramené tant de photos… Des photos en noir et blanc, car à la fin c’est ce qu’il préfère. Car c’est en noir et blanc qu’il sent qu’il arrive le mieux à retransmettre sa vision profonde de cette puissance qu’il capte au cœur de toutes choses, et surtout de notre monde naturel. Et c’est aussi cela qu’il dit vouloir rejoindre après sa mort.
Adieux
Jean-Jacques Möri
Manu est notre ami, à Silvia et moi ! J’écris au présent car contrairement à mes premières pensées je croyais qu’avec son départ, je perdais une partie de moi-même. Mais il n’en n’est rien, il est toujours présent dans mon cœur, mes pensées et mes souvenirs.
On s’est connu vers 13-14 ans à une époque où une vague de liberté soufflait sur la société et nous n’étions pas des ados particulièrement sages. Alors on s’est tout de suite bien entendu pour faire les 400 coups, mais rien de bien méchant. On a connu ensemble les premiers ébats amoureux, les tournées en « boguets » maquillés pour faire la tournée des boums de la région, la musique pop avec des 33 tours d’anthologie et les festivals de l’époque. Puis ce fut les premiers voyages ! En stop, en train : le Maroc, l’Allemagne, la Hollande, la Grèce où une étrangère s’était incrustée, Silvia, ma future femme. Des centaines d’anecdotes me trottent dans la tête, gravées à jamais. Après ce fut les premiers petits boulots. Un patron pas ordinaire nous avait engagé avec 2 autres copains pour faire de la manutention, pas banal !! on nous appelait les « charlots ».
Nous étions tous deux attirés par la photographie et avons fait ensemble nos premières pellicules. Il y avait celui qui avait l’œil, le don et l’autre qui se prenait pour un artiste, l’autre c’était moi ! J’ai toujours admiré Manu pour sa pugnacité à vouloir vivre de sa passion et d’y être arrivé.
Ensuite vint le temps des responsabilités avec l’âge adulte ; nos rencontres respectives, le mariage, nos premiers enfants et le travail.
Puis les événements de la vie nous ont séparés pendant un long moment, sans vraiment savoir pourquoi nous nous étions perdus de vue.
Nos retrouvailles furent le fruit du hasard, une rencontre à la vieille ville. Et depuis, nous nous sommes retrouvés comme si ces années d’absence n’avaient jamais existé. Les mêmes regards, les mêmes rires et la même complicité. Sans le savoir, comme cette amitié m’avait manqué !
Dernièrement, après ses premières chimios et la rémission momentanée de sa maladie, nous sommes partis ensemble quelques jours dans le sud pour le mariage de mon fils. Il dégageait de sa personne de la sérénité et un réel plaisir d’être ensemble avec nos amis dans une région magnifique. C’est cette dernière image que nous garderons de ses derniers moments.
Manu est un homme bon, généreux de sa personne, amoureux de la nature et des hommes !
Manu, nous t’aimons !!!
Noémie
Papa,
Comment trouver les mots… Les bons mots ..
Je crois qu’il n’y en a pas, je voulais juste parler de toi Papa… Toi… si discret et si patient…
Je crois avoir découvert ton visage sur le tard car nous avons, les premières années de notre vie, vu plus souvent l’objectif de ton Nikon, que ton visage.
Nous en gardons même quelques cicatrices sur le front, car tu avais toujours ton appareil autour du cou et on se cognait dessus sí souvent.
Je me souviens de nos balades dans la nature où, avec Raphaël, nous attendions des heures que tu fasses LA photo. Tu pouvais rester, ce qui nous semblait une éternité, devant une fleur à attendre qu’une abeille vienne la butiner.
Les derniers jours auprès de toi ont été très intenses, mais tu nous as fait rêver avec Les récits de tes voyages, perdu dans la forêt Amazonienne, le voyage de tes rêves..
Toi l’amoureux de la nature, j’ai vu tes yeux briller lorsque tu nous a parlé de tes photos des arbres vénérables pour le jardin botanique. Tu aimais découvrir cette nature avec tes amis botanistes et tu leurs a permis de voir ces arbres, qu’ils connaissent pourtant sí bien, d’une autre façon grâce à tes photos.
Mercí Papa de nous laisser tes si belles photos. Nous pourrons, Raphaël, Sebastían, Anna et moi, nous plonger dedans pendant des heures et nous remémorer de magnifques souvenirs.
Je t’imagine là-haut, en paix, à fumer ta cigarette, boire ton café, avee ton appareil autour du cou.
Je t’aime Papa.
Repose en paix et merci pour tout.
Pascal Martin
Manu,
Aujourd’hui nous célébrons la personne que tu étais et nous parcourons les
souvenirs des instants passés ensemble.
Manu, Rappelle-toi, j’ai d’abord été ton collègue aux Jardin Botanique où nous
participions à cet immense projet de numérisation de l’herbier. De ces années,
je dirais que notre amitié est née autour d’une tasse de café… je te revois encore vérifier si tu as bien dans tes poches ton tabac et ton briquet avant de quitter le bureau, je me rappelle ton sourire et l’expression dans tes yeux à l’annonce de cette pause qui était toujours joyeuse.
Tu as rapidement noué de très bons contacts avec l’ensemble des collègues et sans trop vouloir m’avancer j’ai le sentiment que tu étais heureux d’être avec nous et heureux de côtoyer ces doux rêveurs que sont les botanistes….
Nous avons ensuite eu la chance de pouvoir collaborer sur le projet des arbres du canton. Quel plaisir cela a été pour moi ! Nous enchaînions les promenades en nature, ou dans les plus beaux parcs de Genève, autour d’un thème qui nous tenait à cœur : la beauté et la diversité du vivant.
Manu, à travers tes photos tu m’as en quelque sorte ramené sur les bancs de l’école, tu m’as fait découvrir des détails que je ne regardais pas ou que je ne regardais plus.
Manu, tes photos révélaient un univers de poésie, on ressentait la fragilité d’un
bourgeon, la fugacité d’une fleur ou encore la force d’un tronc. Manu, avec le temps j’ai compris d’où venait ta capacité à saisir ces émotions.
Manu, tu as toujours eu cette curiosité et cette ouverture aux autres, tu aimais discuter et échanger sans jamais vouloir imposer tes idées, plus que voir ou parcourir le monde je pense que tu le contemplais.
Manu, tu vas nous manquer, je sais que depuis les étoiles tu gardes désormais un œil plein de chaleur et plein d’humanisme sur nous.
Manu MERCI
Rachel
3 ans déjà aujourd’hui que tu es parti..
Manuel je voulais te dire encore une fois merci.
Tu m’a fait le plus grand des cadeaux, la réconciliation avec toi-même, avec ton entourage, avec tes amis, ta famille et même à la fin avec Dieu. Tu étais révolté quand je t’ai connu, et finalement, c’est passé… Combien de fois à la fin tu m’as dis de laisser aller… « laisse aller, laisse aller »…de faire confiance.. m’en remettre au cours des choses et à la sagesse du destin…
Et je voulais aussi dire merci au Venezuela qui nous a réunis. Le Venezuela qui nous a sauvé, tous les deux… La gentillesse de son peuple, sa spontanéité, sa générosité sans limites, sa bienveillance… ses maîtres à penser, sa nature luxuriante.
C’est par le biais de tes photos que j’ai vu qui tu étais, ton amour profond du peuple, ta capacité à capter la poésie autour de toi, ton dédain pour les hiérarchie, ton respect pour les humains, quels qu’ils soient, pour les opprimés… et surtout, ton amour des enfants , de la vie… et de la nature. Ton activité c’était la contemplation et l’observation à longueur de journée, c’était ta principale source de connaissance et de sagesse. Ta passion c’était capter l’image que tu avais en tête pour transmettre la vision de cette nature qui te renvoyait au monde dans toute sa puissance. Comme tu me l’a expliqué, la difficulté pour capter l’image que l’on veut, c’est de l’anticiper, et d’appuyer sur le bouton une fraction de seconde avant son apparition…
Tu adorais la musique, l’écoutant à longueur de journée. Tu aurais tant voulu apprendre à jouer de la guitare! C’était ton instrument préféré par-dessus tout…
C’est pourquoi j’ai choisi pour toi ces valses pour guitarre de Antonio Lauro … Et que, comme tu as dis nous le souhaiter à tous ensuite, que la danse continue !
Au revoir, à bientôt , je t’aime…
Homélie
Par l’abbé Carlos Aixela
Chers amis et famille de Manuel…
Quand je réfléchissais aux paroles que j’allais vous dire en ce moment, elles se sont dirigées toutes seules vers les enfants de Manuel, que je ne connais que très peu, et depuis il y a moins d’une semaine : Noémie, Raphaël, Sebastian, Anna.
Evidemment, je ne parle que pour eux, mais permettez-moi que je vous parle à tous en leur parlant surtout à eux.
Vous pouvez imaginer comme un prêtre peut se sentir un peu comme un intrus lorsqu’il atterrit dans la vie de quelqu’un, appelé pour l’aider dans ce dernier moment de la mort… comme vous l’avez vu la semaine passée. On se sent un peu comme un intrus, comme Dieu lui-même peut se sentir un intrus dans nos vies…
Oui, Dieu parfois se sent comme un intrus… pas parce qu’il nous appartient plus profondément que personne d’autre ne pourra jamais nous appartenir, pas parce que la soif la plus profonde que nous avons c’est la soif que nous avons de lui… mais parce que nous le tenons un peu à l’écart, parce que nous sommes froids envers lui, voire fâchés avec lui, ou tout simplement avec ceux qui étaient censés nous porter vers lui.
Mais même lorsque nous nous sentons vus un peu comme des intrus, nous les prêtres nous allons de l’avant, comme Dieu le fait, en respectant la liberté de chacun, mais en écoutant la soif de Dieu.
J’étais surpris, comme vous l’étiez aussi, par la force avec laquelle Manuel a dit oui à cette aide des derniers sacrements, notamment à la communion, à peine une heure avant de partir vers la rencontre face à face avec Jésus. On dirait que, en plus de vous voir une dernière fois, il n’attendait que ça pour partir vers son Dieu.
Plus encore, j’étais surpris par la décision avec laquelle, malgré ses forces déjà très réduites, il serrait ma main, comme un enfant qui s’accroche à la main de son père.
Lorsqu’on est un jeune prêtre on se trouve face au paradoxe de se faire dire père, ou de se faire traiter comme père de la part des gens dont on pourrait être les enfants. Mais là on prend conscience que cette paternité ne vient pas de nous mais de Dieu, de ce Père dont notre cœur, le cœur de tous, a une nostalgie si profonde. J’ai compris tout suite que ce n’était pas à ma main que Manuel s’accrochait, mais à la main de son Père, Dieu.
Noémie, Raphaël, Sebastian, Anna… vous le savez, votre père était un passionné. Comme me le racontait Rachel, il regardait en profondeur, il cherchait l’âme des choses et des personnes. Et c’est ce regard profond, passionné qu’il portait sur le réel, qui voulait comme en trouver son mystère… c’est ça qui l’a fait tomber amoureuse de lui.
Eh bien comme il va être heureux à côté de Dieu, votre père… Si on pense à certaines images qui ont été données du ciel, on a raison de penser que ce sera ennuyeux, ou que c’est irréel. A moi elles ne me parlent pas non plus …
Eh bien le ciel, tel que la foi chrétienne le comprend (et je souligne ça : la foi chrétienne, pas forcément toujours les chrétiens qui pouvons ne pas être à la hauteur, soit dans notre façon de vivre…soit dans notre façon de la comprendre) … le ciel, tel que la foi chrétienne le comprend est plus réel que notre vie ici sur terre. Ce qu’on appelle « l’autre vie » est plus réelle et plus passionnante que la vie que nous connaissons ici. Ça, au moins, c’est ce que la foi chrétienne croit. C’est la foi dans la résurrection. Là-dedans il y a tout le christianisme. Et sans cela tout le christianisme tombe.
« L’autre vie » donc est plus réelle et plus passionnante que celle-ci. La vie ici n’est qu’un påle reflet de la Vie. Et c’est pour ça que je dis… comment il va être heureux votre père, à côté de Dieu… qui n’est pas un vieillard ennuyé et ennuyant, mais la source de toute cette beauté qu’il a cherché sur terre… toute cette beauté ensemble.
Saint Augustin, et il n’est pas le seul, disait que le ciel ce sera découvrir Dieu sans arrêt. Ce sera un WOW permanent, et on sortira d’un wow pour tomber dans un autre, sans nous lasser…
Dans la résurrection, dans le ciel, Dieu nous redonnera tout ce qui nous a passionné ici sur terre, une fois qu’il aura purifié nos amours de tout ce qu’il y avait en eux d’égoïste ou de toxique…
Parce que oui, ici-bas souvent la joie est mélangée avec la douleur, la passion avec l’égoïsme, l’amour avec l’intérêt, le plaisir avec le ras-le-bol… Nous aimons la vie, mais en même temps parfois nous en avons marre… nous vivons dans cette ambiguïté. Au plus profond de nous il y a une volonté de vivre pour toujours, même si ça nous fait aussi un peu peur…
Eh bien, dans notre désir de vivre, et même dans notre ras-le-bol de la vie, il y a une promesse qui n’est pas une blague. La promesse d’une joie sans bornes, la joie pour laquelle nous sommes faits. De notre part on le souhaite sans pouvoir l’avoir. Dieu par contre le veut et le peut. Tout ce dont il a besoin c’est que nous le voulions. Que nous voulions vivre pour toujours avec lui et avec tous, sans exclure personne, sans ces ressentiments qui parfois restent en nous et qui nous rendent malheureux. Que nous ouvrions notre cœur vers Dieu et vers les autres, comme l’apôtre Jean nous le dit, de façon qu’une fois que nous arriverons devant Dieu nous pourrons lui dire « oui je le veux », comme vous avez vu dire oui à votre père, même au milieu de sa difficulté à respirer et à parler.
En ce moment nous prions pour lui, et nous nous confions aussi à sa prière. Nous l’accompagnons et nous nous savons accompagnés par lui.
Manuel y voit plus clair maintenant que nous. Qu’il nous aide à découvrir la seule chose nécessaire, la seule personne nécessaire, dans laquelle nous nous retrouverons nous-mêmes, nos amours, nos êtres chers, et l’humanité entière: Dieu.